14 janvier 2009
Perplexité publicitaire
A l’école, y’a la semaine du goût. Dans la pub, ils font la semaine du mauvais goût. Y’a comme une espèce de concours dans l’air. D’abord, y’a ça :
Est-ce que je suis la seule à trouver que ça ressemble à une tronche de femme battue plus qu’à une teufeuse à paillettes ? Ok, elle n’a pas le visage tuméfié, ok en sortant de club on a peut-être une sale gueule mais là quand même, je vous le dis tout de go, ça me chiffonne. « Viendez vous faire exploser la face ce soir, c’est thème barre à mine ».
En réalité, je suppute que le raisonnement subliminal est plutôt le suivant :
on plaisante de tout -> donc on est trop iconoclates -> donc on est supra cools -> viendez faire la fête.
Sauf que là, c’est tout le problème de la provocation gratuite, ça tourne à vide. La provoc quand elle n’est pas portée par une vision est une plaie.
Ca, à l’inverse, ça m’a fait hurler de rire :
LA VIDEO EST ICI. Parce que, entre autre, ça touche juste. C’est pas conçu dans l’unique but d’attirer le regard (pour refourguer une soirée).
Dans un tout autre genre, j’avoue que je suis très troublée par la soudaine apparition dans mon écran de télé d’un acteur trisomique pour me vendre un forfait téléphonique.
Troublée et perplexe. C’est très compliqué parce qu’évidemment, en arrière-fond, il y a la justification facile du « les porteurs de trisomie 21 sont comme nous, pourquoi ne pourraient-ils pas faire de la pub ? » et même « leur donner une visibilité au même titre que les autres membres de la société, c’est aider à changer le regard qu’on porte sur eux. » (1)
Effectivement. Désormais, on pourra cyniquement se dire que l’effet du gros chèque, ça marche sur tout le monde.
Et en un sens, la marque prend un sacré risque avec un slogan du type « Si vous êtes comme moi… » (vous noterez mon effort considérable pour éviter les blagues faciles). Mais on peut également supputer que pour une toute nouvelle marque, s’imposer sur le marché doit passer par un coup d’éclat afin de retenir l’attention (même principe que ci-dessus – et j’ai bien entendu je suis moi-même en train de jouer leur jeu). La présence d’un trisomique dans ce spot n’est donc pas vraiment à mettre sur le compte d’un militantisme humaniste.
Et alors, me direz-vous peut-être. Vendre des forfaits téléphoniques ET traiter les trisomiques en dignes citoyens, c’est pas forcément incompatible. Peut-être. Même si ici, ils ne sont pas traités en citoyens mais en consommateurs. (2)
Ce qui met mal à l’aise dans cette pub, c’est évidemment le soupçon de manipulation. Quand Richard Berry empoche des sous pour manger un yaourt, il sait qu’il a l’air con et c’est en toute conscience qu’il signe son contrat. Est-ce que Pascal Duquenne a vraiment conscience qu’on utilise son handicap pour vendre un téléphone ou un forfait ? J’ai un sérieux doute.
Par ailleurs, est-ce que cette pub fait réellement évoluer notre vision du handicap ? En réalité, l’idée sous-jacente est profondément discriminante : si un trisomique vous parle d’un forfait avantageux c’est forcément en toute honnêteté parce qu’un trisomique est forcément honnête puisqu’il est limité. C’est lier la marque à des notions d’innocence et de gentillesse qui seraient consubstantielles à la nature de l’handicapé.
(Assertion en plus totalement fausse. J’ai travaillé avec une trisomique qui mentait comme une arracheuse de dents quand ça l’arrangeait – et tant mieux. Et on a eu l’air bien cons le jour où on s’en est étonnés.)
Donc sous prétexte de faire évoluer les mentalités, cette pub se sert des clichés sur les trisomiques et par la même les pérénnise.
Une chose tout de même m’étonne (que bizarrement personne n’a évoqué pour l’instant, suis-je le seul esprit pervers ?). Je sais, ce que je vais dire est atroce mais bon sang, ils ont dû y réfléchir à l’agence de pub : dans le fond, qui aura envie d’avoir le même téléphone qu’un trisomique ?
(1) je ne résiste pas à l’envie de vous copier un extrait sur ce thème : « Je suis très heureuse que l’on ait fait appel à Pascal car c’est la preuve que notre société a changé un tout petit peu en considérant les personnes différentes à part entière », estime Huguette Vandeputte, la mère du comédien dans le « making-off » du tournage, mis en ligne sur Youtube. (oui Romain, je sais… c’est terrible…)
(2) En ce qui concerne leur statut de citoyen. De plus en plus de porteurs de la trisomie 21 ont le droit de vote (depuis peu). Pour autant, il n’est pas automatique. Les handicapés mentaux étant souvent placés sous tutelle, c’est le juge des tutelles qui leur accorde ce droit après un entretien personnalisé.
PS : je crois que j’ai un horrible problème de mise en page.
En cours de publicité, on nous explique souvent qu’il faut faire des pubs dans lesquelles les consommateurs peuvent s’identifier au personnage! Là je ne sais pas si le consommateur s’identifie au trisomique, mais au moins on comprend comment la marque voit ses clients…
le 29 avril, 2011 à 12 h 41 minAh ah… Oui. Je crois que cette pub n’a pas fait long feu. Mais c’est un cas d’école à étudier pour les pubars. Si vous avez des exposés à faire en cours de pub, je te suggère te prendre ça comme sujet.
le 2 mai, 2011 à 12 h 51 min