28 janvier 2009
Du Tigre à l’enthymème
On a beaucoup parlé de l’enquête du Tigre qui a retracé des moments de la vie d’un parfait inconnu en cherchant et recoupant les traces qu’il avait laissées sur internet (encore un sujet que je vais éparpiller sur dix posts, autant vous prévenir).
Mais alors même que le Tigre déclare s’intéresser à « la confusion entre vie privée et vie publique » et à « l’idée qu’on ne fait pas vraiment attention aux informations privées disponibles sur internet, et que, une fois synthétisées, elles prennent un relief inquiétant » la parution de cette enquête a plutôt alimenté la thèse du monstrueux internet qui est comme une pieuvre géante qui pénétrerait dans nos maisons, violerait nos fils, volerait notre fric et surtout enfoncerait ses tentacules dans nos trous de nez pour nous lobotomiser le cerveau et se nourrir de sa substance blanche. Internet EST bodysnatchers. Une entité mystérieuse qui à elle seule serait la plus forte parce que conjuguant :
– le conseil des sages de Sion et leurs protocoles pour conquérir le monde
– les réseaux de pédophiles (notamment toulousains)
– les sections Al-Qaida basées notamment en Seine-Saint-Denis.
Rassurez-vous cependant.
Internet a deux ennemis qui le combattront jusqu’à la mort s’il le faut : la télé et Frédéric Lefebvre.
Parce que rire deux minutes par jour est nécessaire, on se refait un bout de la déclaration du député UMP des Hauts-de-Seine, proche du Président, et pas un genre d’homme à s’emballer pour rien et à faire de la démagogie en jouant sur les pires peurs plutôt que de s’adresser à la rationnalité du citoyen, non, Frédéric, il est au-dessus de ces procédés populistes, démonstration :
« Il aura fallu attendre que des établissements financiers soient en faillite, que la croissance soit au point mort, que des pays soient au bord du gouffre, pour que le monde se réveille et accepte enfin de construire un système régulé au plan international. Faudra-t-il attendre qu’il y ait des dégâts irréparables pour que le monde se décide à réguler Internet ?
L’absence de régulation financière a provoqué des faillites. L’absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes ! Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent ? Combien faudra-t-il de morts suite à l’absorption de faux médicaments ? Combien faudra-t-il d’adolescents manipulés ? Combien faudra-t-il de bombes artisanales explosant aux quatre coins du monde ? Combien faudra-t-il de créateurs ruinés par le pillage de leurs œuvres ?
Il est temps, mes chers collègues, que se réunisse un G20 du Net qui décide de réguler ce mode de communication moderne envahi par toutes les mafias du monde.
[…] La mafia s’est toujours développée là ou l’État était absent ; de même, les trafiquants d’armes, de médicaments ou d’objets volés et les proxénètes ont trouvé refuge sur Internet, et les psychopathes, les violeurs, les racistes et les voleurs y ont fait leur nid. »
L’échange à l’Assemblée Nationale est à lire en entier ICI.
On notera que Fredo a potassé son Zola, et connait le pouvoir d’une anaphore bien placée (« combien faudra-t-il » x5). Il connait surtout la valeur d’un sophisme. Et moi, personnellement, j’adore reconstruire les sophismes sous-jacents aux argumentations foireuses. Là, il s’agit plus précisément d’un enthymème (c’est-à-dire qu’une des prémisses n’est en réalité qu’un préjugé couramment répandu).
Prémisse majeure : le système économique mondial est le théâtre d’excès dont la société est victime (vrai)
Prémisse mineure : internet est le théâtre d’excès dont la société est victime (= préjugé courant sur la dangerosité du net)
Conclusion : internet et l’économie mondiale libérale suivent le même régime, ce qui est bon pour l’un est donc forcément bon pour l’autre. (comprendre régulons l’un et l’autre)
En rhétorique, l’enthymème, bien que fort efficace, c’est un peu le sophisme du pauvre, une suite d’impressions mises bout à bout pour faire croire à une logique implacable là où tout n’est qu’amalgame boiteux.
A ce rythme, je me demande combien je peux mettre de posts pour arriver à mon sujet.
Et puis, comme il fallait une photo, bah voilà :
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