10 mars 2009
Nadja, l’ancêtre du blog – part 1
Impression hautement trompeuse. En vrai, j’étais en pleine entreprise de théorisation dont il est temps que je présente le résultat à la face du monde ébahi. Je me lance donc dans la démonstration évidemment inattaquable, que le blog a été inventé en 1927 par un certain André Breton. A l’époque, le blog était publié sur un support assez courant nommé le papier.
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec l’oeuvre de Breton, Nadja c’est… bah justement, c’est tout le problème. Nadja n’est ni un roman, ni une auto-biographie. C’est par excellence, le livre dont on va dire qu’il est « une oeuvre fortement singulière », « révolutionnaire », « un ovni », « dynamite les canons littéraires ». Or une partie des caractéristiques qui faisaient à l’époque de Nadja une exception se retrouvent dans la pratique d’écriture que sont les blogs.
Premier avertissement à destination des esprits chafouins : l’appellation « les blogs » désigne un medium plus qu’une forme précise – nous sommes bien d’accord. Mais ici « les blogs » renvoie aux blogs à vocation autobiographique, ceux qui versent dans l’intime et la confidence.
Deuxième avertissement à destination des esprits vraiment très chafouins : évidemment il ne s’agit pas de comparer qualitativement Nadja et les blogs. Suis pas folle quand même.
DES RAISONS INCONTESTABLES QUE C’EST ANDRE QUI A INVENTE LE BLOG
1°) Les photos.
Ouais, je commence par le plus facile. Le mélange texte/photo ça nous parait banal, en 1928 c’était assez révolutionnaire. Pour Breton, les photos avaient divers usages. D’abord, elles lui évitaient la description, parce que André il honnissait les descriptions (description = roman = caca *toi ami jeune lecteur qui prépare peut-être ton bac de français, oublie immédiatement cette formule*). Ensuite, elles tendaient à prouver la véracité des faits. Les photos des dessins qu’a fait Nadja attestent de l’existence de Nadja. (En prime, elles avaient un pouvoir onirique, elles étaient un instant éphémère figé à jamais, donc un croisement des contraires, donc le croisement entre le rêve et la réalité, mais ça c’est pour les agrégatifs.)
Figer le présent, c’est ce que fait la photographie en général, c’est ce que tente Breton dans ce livre, c’est ce que tend à faire également chaque blog. On n’est pas dans la recherche d’une perfection artistique, d’un produit fini, mais dans la cristallisation d’un moment. Or ce moment n’a de valeur, ne vaut d’être partagé que dans la mesure où il reflète un état d’esprit. Dans les blogs, la photo sert (outre des tendances exhibitionnistes évidentes), à éviter les descriptions de lieux et à refléter le regard du blogueur. Ce qui est recherché, préconisé, mis en avant, c’est la subjectivité de l’image, c’est de rendre palpable le regard qui est derrière l’appareil. Parfois de manière plus explicite avec l’apparition de l’ombre ou du reflet du blogueur dans la photo.
« J’ai commencé par revoir plusieurs des lieux auxquels il arrive à ce récit de conduire; je tenais, en effet, tout comme de quelques personnes et de quelques objets, à en donner une image photographique qui fût prise sous l’angle spécial dont je les avais moi-même considérés. » (p175)
Le but du blogueur qui intègre des photos est également de faire partager cet « angle spécial ».
2°)Le temps.
Nadja n’est pas une autobiographie. Breton y raconte une période précise de sa vie, sans le recul habituel de l’autobiographie. Pour l’époque, on est presque en temps réel (sa liaison avec Nadja a lieu de octobre 1926 à janvier 1927, il rédige le texte en août de la même année). C’est le rythme de la vie que recherche le blog. Ce qui fait la caractéristique du blog c’est son rapport au temps, sa contemporanéité avec le quotidien du blogueur. C’est aussi ce qui fait que ces écrits pris sur le vif dépendent étroitement de ce qui vit leur auteur au moment de la rédaction. Breton refusait de dissocier sa vie et son écriture (un autre reproche qu’il faisait à la forme romanesque).
Nadja n’est donc pas une oeuvre coupée de la vie de son auteur. Non seulement parce qu’elle narre un épisode de cette existence mais parce que le temps de l’écriture la suit, l’épouse et finalement la contredit. Ainsi, quand Breton se met à rédiger Nadja, il s’agit pour lui de raconter son aventure avec une femme croisée au hasard dans les rues de Paris, une femme qui va le fasciner quelques mois. Mais le temps d’écrire, la vie continue. Breton se lasse de Nadja, cesse de la voir, elle finit internée en asile. Il arrête la rédaction de son livre pendant 4 mois. Au moment où il s’y remet pour écrire la conclusion de cette histoire, il en est incapable parce qu’elle n’est plus d’actualité. Depuis, il a rencontré Suzanne, il est fou d’elle et les dernières pages de Nadja ne s’adressent qu’à elle (« par cette porte, je ne verrais sans doute jamais entrer que toi. » p181). Il ne respecte donc pas un plan d’ensemble pré-établi, il inclut ce qu’il vit d’inattendu dans le livre, quitte à abandonner l’histoire de celle qui est pourtant l’héroïne éponyme de son livre. « Alors que Nadja, la personne de Nadja est si loin… » (p173) « Sans le faire exprès, tu t’es substituée aux formes qui m’étaient les plus familières, ainsi qu’à plusieurs figures de mon pressentiment. Nadja était de ces dernières, et il est parfait que tu me l’aies cachée. » (p183)
Dans le cas de Breton, l’écriture et la vie sont donc intimement liées dans un rapport de simultanéité. C’est ce même type de rapport qui explique que nombre de blogs tournent court. Ils sont trop liés aux aléas de la vie de leur auteur. L’envie de raconter peut être toujours présente mais si le blog a été ouvert pour se concentrer sur un élément précis de la vie (ou sur une impulsion ex : « ce soir-là, je m’ennuyais »), quand cet élément disparaît (« finalement, j’ai trouvé des choses à faire), le blog n’a plus de raison d’exister. (Mais l’envie réapparaîtra au prochain soir d’ennui, c’est comme ça qu’on multiplie les blogs).
LA SUITE PLUS TARD
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